mardi 12 novembre 2013

L'économie... d'idées

par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Pour une minute, imaginez la politique comme une partie de poker.

Soit dit en passant, je n'ai par la moindre idée des rudiments du jeu et le portrait que je vais brosser puise plus chez Lucky Luke que dans la réalité. Vous savez, quand une carte tombe de la manche d'un des joueurs, et qu'un autre flippe la table en brandissant sa pétoire?

C'est presque ridicule, mais le parallèle semble intéressant, et l'image, féconde.

Alors, l'assemblée législative est une table de poker : Le gouvernement est à la fois assis à la table et distribue les cartes. L'opposition call son bluff, et les contribuables (dont l'argent est sur la table) regardent la partie à la télé. Soudainement, le gouvernement fait une déclaration-choc (disons, sur le gaz de schiste), et l'opposition n'a rien dans sa main pour contrer. Deux choix se présentent : plier l'échine et concéder la main, ou alors bluffer. Puisque la politique consiste essentiellement à s'accrocher avec l'énergie du désespoir au peu de pouvoir qui échoit aux élus, l'opposition bluffe. Elle call un moratoire en disant que c'est ce que la majorité des citoyens désire.

D'où tient-elle cette information? De quelques consultations publiques, où elle a elle-même pris les notes et d'après lesquelles elle se permet d'extrapoler sur l'opinion de ceux et celles qui n'y étaient pas. Parce que forcément, ceux qui n'y étaient pas appuient silencieusement les démarches de l'opposition, c'est clair.

Ah, les ravages du silence en politique!

Mais le gouvernement tient les cartes : s'il voit un nuage à l'horizon, il a lui aussi deux options. De un, il annule la main et redistribue les cartes, on change de sujet ou on esquive la question. De deux, il sort l'atout qu'il cache dans sa manche : l'économie.

Bien entendu, le gouvernement ne sourcille pas, et sort en douce sa carte cachée.

BANG! Que peut-on donc opposer à la toute-puissante économie?

L'opposition va-t-elle flipper la table et de dégainer? Comment justifier ce geste? Qui oserait ignorer la dominance de l'économie?

Et nous, qui finançons la partie, ne pouvons que regarder pendant que la cagnotte passe invariablement du même côté de la table, pour nous être soi-disant redistribuée.

Après tout, c'est pour notre bien qu'ils jouent au bluff avec notre argent, non?

Là, de plus en plus souvent, je me permets de douter des bonnes intentions. Sans en prêter de mauvaises, qu'on s'entende; cependant ces intentions visent-elles réellement le bien du plus grand nombre, ou d'un groupe restreint?

Mais la question se pose : jusqu'à quel point doit-on laisser l'économie diriger la pensée politique? On ne peut clairement pas l'ignorer, mais quand est-ce devenu un dogme plutôt qu'un outil politique et social? Que je sache, l'économie est une création humaine et en principe, la création ne doit pas dominer le créateur. Mais bon, ça fait longtemps que je ne suis pas allé à la messe, et encore plus longtemps que je n'ai pas été attentif quand j'y étais. Au nom de l'économie -qui soit dit en passant n'a pas d'affection particulière pour le N-B- allons-nous gober sans broncher mesures et coupures, sans distinction? Sommes-nous victimes de l'apathie télévisuelle, du syndrome du spectateur impuissant? Le fait demeure que si ces joueurs assis à la table de l'assemblée législative ont le privilège de jouer au bluff avec l'argent des contribuables de cette province, c'est bel et bien parce que ces mêmes contribuables leur accordent ce privilège.

Nous sommes responsables de les élire, de leur PERMETTRE de parler pour nous. C'est tellement simple que ça en devient ridicule.

Doit-on accepter le bâillon économique? Ça fait depuis McKenna que l'économie va mal au N-B, et on continue de laisser faire les gouvernements qui investissent dans des compagnies bidon qui s'en mettent plein les poches à coup de prêts dont les contribuables assument les contrecoups, puis qui repartent en douce, disant qu'il y a plus d'argent à faire ailleurs.

Ben, arrêtons d'essayer de faire de l'argent, et commençons à essayer de faire de l'allure.

Ce serait quoi, par exemple, de suivre l'exemple de Lamèque et de financer des coopératives d'énergie verte à la grandeur du N-B, d'explorer et de développer ces technologies pour le bien des citoyens de la province? Le monde entier attend que l'énergie verte soit une option abordable! Pas même besoin de vision pour voir l'opportunité! On est déjà dans le trou, financièrement, et on continue de pitcher de la terre à qui en demande, pour une bouchée de pain. En espérant que la manne nous tombe du ciel. Si on se mettait dans le trou pour notre bien et dans le but de s'en sortir, au moins, on arriverait peut-être à quelque chose. Ce serait quoi de miser sur un système d'éducation qui serait financé selon la capacité des contribuables après la graduation, sur le modèle de l'Oregon? Oui, ça coûterait cher à lancer, mais en bout de ligne, le résultat serait probablement un système d'éducation (un vrai!) qui puisse bénéficier à long terme à la population du N-B. et à la province entière; des fondations solides pour un avenir solide. Et en ce qui concerne la crainte d'une hémorragie de fonds si les diplômés quittent la province après l'obtention du diplôme, alors qu'on impose une facture aux «déserteurs» : on ne peut pas vous empêcher d'aller chercher fortune ailleurs, mais le bénéfice est pour ceux qui choisissent de rester et d'aider la province à se redresser. Ce serait quoi de miser sur des mesures préventives en santé (ce qu'on commence à peine à faire) plutôt que de continuellement traiter les gens? On économiserait sans doute plus qu'en nommant et congédiant continuellement des bureaucrates que l'on juge -clairement- superflus, au détriment des infirmiers et infirmières, de la qualité des soins, ainsi que des fonds de pension provinciaux.

Mais, moi, je n'ai aucune carte dans ma manche.

Tout comme chacun(e) d'entre vous, je n'ai qu'une tête, une voix, et un vote.

Et un vote, ça vaut bien une pétoire à une table de poker.

P.S. Je mijotais ce blog depuis longtemps, et c'est en voyant cette vidéo via facebook (excusez mon manque de rigueur intellectuelle, M. Robichaud) que le tout est devenu juste assez clair pour écrire sur le sujet (allez voir). Non, me direz-vous, nous ne sommes pas Américains; mais notre réalité n'est pas si différente. Et de moins en moins, merci Harper. Si la démocratie est RÉELLEMENT l'expression de la volonté du peuple, pour le bien du peuple, je ne vois pas pourquoi un si faible pourcentage de la population devrait pouvoir tenir les rennes d'une nation, et SURTOUT quand cette nation leur a tant donné. Une tête, une voix, un vote. Pourquoi ce serait différent pour un portefeuille?

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