mercredi 24 octobre 2012

Réflexion : Et si les néo-brunswickois étaient tous bilingues ? (Ou A Curried Parrot’s Tale)

par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets

Le 15 octobre, un article paru dans le Times & Transcript de Moncton (« Every Person Should be Bilingual », page A8) rapportait les propos de Richard Currie, après un discours adressé à l’école de médecine de l’Université Dalhousie (à Halifax). Il a laissé entendre qu’il trouve ridicule que le N-B interprète son bilinguisme comme une obligation à maintenir deux systèmes distincts, notamment en santé et en éducation. Pourquoi ? Premièrement, cela signifie que les Néo-brunswickois ne sont en réalité pas bilingues du tout, et deuxièmement, l’économie de la province peine à se développer en raison des coûts dédoublés de certains services publics. L’auteur, John Chilibeck, note que le N-B n’a en fait que des institutions distinctes en éducation et non pas en santé, où c’est l’administration qui est double. Il reconnaît également l’importance culturelle des institutions francophones pour la minorité franco-acadienne de la province, ainsi que l’échec du programme d’immersion francophone à produire une majorité d’anglophones bilingues.

D’une part, j’adhère au raisonnement de Richard Currie : si la province est officiellement bilingue, pourquoi ses habitants ne le sont-ils pas ? Les institutions, loin de promouvoir le bilinguisme, éloignent les deux groupes linguistiques et entretiennent le barrage qui les sépare. Currie cite l’exemple de la Suisse, qui possède quatre langues officielles, et encore des Pays-Bas, où la plupart des gens en parlent trois, pour illustrer sa conception d’un réel bilinguisme.

Mais d’un autre côté, autant que je puisse être en accord avec le principe du bilinguisme comme l’entrevoit M. Currie, et même en laissant de côté toute hargne militante envers le maintien de notre langue et de notre culture acadienne, je vois mal comment fonctionnerait l’éducation dans notre province, n’était la garantie d’établissements dans les deux langues officielles.

Je crois fermement que tous les francophones devraient être capables d’un bilinguisme au moins fonctionnel, c’est-à-dire être capable de comprendre l’anglais et de se débrouiller pour se faire comprendre dans cette langue. Je me fous de l’accent, tant qu’on se comprend. Je pense également que les anglophones devraient pouvoir faire de même. Idéalement.

Mais là, ici et maintenant, comment est-ce qu’on pourrait rendre viable – et équitable – un système d’éducation unique et bilingue ? Est-ce possible en garantissant la pérennité des deux communautés linguistiques et de la culture qui les sous-tend ? Que serait-il advenu de la culture et de la langue française au N-B si la province avait refusé de créer des écoles francophones, je vous le demande ? Tenez, pour illustrer mon propos : l’Acadie s’est longtemps défendue par sa langue et par sa foi. La foi est sortie des écoles depuis 1871. Exactement.

Oui, on sauverait de l’argent, c’est incontestable ; cependant, est-ce qu’on ne risque pas d’y perdre plus ? Gagnerait-on une véritable « identité néo-brunswickoise » en se dotant d’institutions uniques et bilingues ? Cette identité serait-elle réellement bilingue ? Peut-elle l’être ?

L’histoire nous a montré que l’anglais n’est généralement pas ouvert aux concessions linguistiques : c’est la langue du commerce international, et cet argument parle généralement très fort. Voyez la liste des pays ayant l’anglais pour langue officielle ; pour l’essentiel ce sont des anciennes colonies britanniques et des îles qui demeurent en sa possession, où l’on sait pertinemment que l’anglais a été imposé à la population en tant que langue de l’administration et non pas par affinité culturelle. Même au Royaume-Uni, la langue anglaise cohabite avec le gallois, l’écossais (gaélique écossais) et l’irlandais (gaélique irlandais), dont elle a fait, tout au plus, les vestiges folkloriques d’une civilisation vaincue et digérée, anglo-saxonifiée. Par contre, juste à côté en République d’Irlande (séparée du Royaume-Uni depuis 1921), l’affichage est réellement bilingue ! La langue gaélique fait aussi partie du curriculum scolaire ; le français figure déjà au curriculum anglophone (et vice-versa chez les francophones) au N-B et on voit où ça nous a menés. Il demeure que les langues maternelles des peuples du Royaume-Uni, en bien des endroits, sont marginalisées par ceux-là même qui pourraient les parler avec fierté, pour des raisons politiques, culturelles et, bien entendu, économiques dont les effets se sont étendus sur plusieurs siècles.

Je ne dis pas que c’est ce qui attend le Nouveau-Brunswick. Par contre, je suis parfaitement conscient que, si nous nous rangeons à l’avis – parfaitement rationnel, j’en conviens – qu’une province bilingue ne devrait pas avoir besoin de se doter d’institutions distinctes, c’est très probablement sur la voie de l’assimilation complète que nous nous lancerions en suivant l’avis de Richard Currie. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à ce projet de bilinguisme réel et complet, qui est un véritable projet de société, mais je dis que, dans les cadres et la conjoncture actuelle, il relève encore à mon sens de l’utopie.

Remarquez, j’estime qu’on gagnerait beaucoup en tant que société néo-brunswickoise si l’une et l’autre communauté linguistique était prête à démontrer un peu plus d’ouverture envers l’héritage culturel de l’autre, sans instantanément crier à la menace et à la conspiration. Oui, nous sommes fiers de notre héritage acadien et français, et nous avons pleinement droit de le faire ; mais nos compatriotes anglophones n’ont-ils pas le droit d’être tout aussi fiers de leur héritage loyaliste et britannique ? Il faudra que ces deux héritages se départissent de leur nature historiquement oppositionnelle avant qu’un véritable bilinguisme puisse se développer au Nouveau-Brunswick. Il faudra que nous, Acadiens, cessions de nous voir comme des victimes, et que les Loyalistes et anglophones cessent de nous considérer en conquérants.

Mais bon, qu’est-ce qui caractérise l’être humain, sinon sa capacité de réfléchir, de s’adapter et de rêver ? Quin, pourquoi pas une province qui ne parlerait que le chiac ? Le beau compromis, toi !

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